Sous le soleil de l’arrogance bancaire
- La Plume Acerbe
- 30 mars
- 5 min de lecture
Les Carnets du débiteur : Chroniques d'une spoliation organisée
Cocody, Abidjan. Samedi, 14h.
Une foule serpente devant l'agence bancaire, sous un soleil à faire douter même les plus stoïques de leur détermination.
Des dizaines de clients — des pères, des mères, des travailleurs — restent plantés sous un soleil implacable, espérant qu'une brèche s'ouvre au guichet avant que la journée ne s'épuise, et avec elle, leur dernier élan de patience.
Ce n’est pas une scène exceptionnelle, mais bien le quotidien.
Ce que l'on pourrait facilement imaginer comme une fiction dystopique n'est en réalité qu'une journée ordinaire devant une banque qui semble avoir perdu jusqu'à la notion de « service ». C’est un spectacle absurde, un rite de passage où l’on échange son temps, sa sueur, et parfois même sa dignité, pour l’espoir d’un service aussi basique que le retrait de son propre argent.
Pendant ce temps, dans ce tableau de chaleur et de frustration, une petite scène privilégiée se joue à l'intérieur.
Le privilège des clients « premium » est une farce bien mise en scène.
Ces clients passent devant la file, dans un silence condescendant, glissant vers l'intérieur climatisé comme des spectres privilégiés, tandis que ceux restés dehors – ceux qui paient aussi – absorbent chaleur et résignation.
Mais soyons honnêtes : que vaut ce privilège quand on sait que, quelques minutes plus tard, ces mêmes clients subiront le même mépris que les autres une fois assis face à un conseiller ?
Monsieur K, par exemple, peut éviter la file interminable grâce à son statut « Gold », mais cela ne l'a pas empêché d'attendre une année entière pour recevoir sa nouvelle carte bancaire, après l'expiration de l'ancienne.
Une année durant laquelle il continuait docilement de payer pour ses avantages « Gold » — climatisation incluse — sans que la banque ne fasse même l'effort de lui livrer la carte.
Le traitement préférentiel s’arrête au seuil de la porte : c’est une illusion soigneusement entretenue, juste assez pour maintenir l’idée que certains sont « spéciaux ».
Une méritocratie de pacotille, où le seul vrai critère d'accès est le degré de tolérance à l'absurdité.
Mais réduire ce problème à une question de confort serait se contenter de l’apparence.
Les files d’attente interminables sont le reflet d’une inefficacité profondément enracinée. Elles sont le symptôme d'un système bancaire qui n'a jamais évolué, préférant la stagnation au moindre effort de modernisation.
Derrière chaque minute perdue sous le soleil se cachent des heures de productivité gâchée, des moments avec la famille effacés, des opportunités manquées. Chaque individu en file est un acteur économique neutralisé par un système trop complaisant pour se remettre en question. Les clients ne sont pas simplement inconfortables, ils sont rendus inactifs, piégés dans une spirale où le coût de l’inefficacité est supporté par la collectivité.
Ce que l’on perd ici, ce ne sont pas seulement des minutes, mais bien des fragments d’une économie qui pourrait — qui devrait — être en mouvement.
Mais en lisant cette chronique, il y a fort à parier que les banques se retrancheraient derrière leurs sempiternels arguments : « Mais il y a des distributeurs automatiques ! Beaucoup de clients viennent au guichet alors qu'ils pourraient effectuer ces opérations via les DAB. »
Ah oui, ces fameux distributeurs, véritables joyaux de la modernité bancaire...
Mais avant de parler des distributeurs, il faut déjà se pencher sur une réalité fondamentale : la méfiance viscérale des gens envers ce système bancaire.
Et honnêtement, peut-on leur en vouloir ?
Parce que, soyons sérieux, comment peut-on blâmer les clients comme Monsieur K qui ont dû attendre une année entière pour recevoir une carte bancaire renouvelée ? Une carte qui aurait dû arriver bien avant que l'ancienne n'expire, sans même qu'ils aient besoin de lever le petit doigt.
Ce genre de négligence n’est pas l’exception mais bien la règle.
On parle ici d'un système qui, au-delà du mépris évident qu’il affiche, se complait dans l’incompétence. La méfiance n'est donc pas un caprice, c’est une question de survie — une précaution logique face à des institutions qui, par leur lenteur et leur arrogance, prouvent sans relâche qu’elles ne sont pas dignes de confiance.
Alors, revenons-en à ces fameux distributeurs automatiques.
Pour ceux qui ont enfin eu la chance de mettre la main sur leur nouvelle carte ou qui sont en possession de l’ancienne, l’expérience du DAB est, elle aussi, une aventure pour le moins incertaine. Imaginez cela : vous insérez votre carte, vous espérez retirer vos billets ou déposer vos espèces, mais vous voilà confronté à un écran qui clignote un joli « Service temporairement indisponible » ou, pire encore, un « Reçu non disponible ». Et n'oublions pas les fameuses dépositions d’espèces qui se volatilisent, avalées par le distributeur comme un mauvais tour de magie. Deux mois d'attente pour récupérer son propre argent, sans même une excuse de la part de la banque.
Et là, la question devient inévitable : comment les banques peuvent-elles espérer que leurs clients aient confiance en un système où chaque transaction est un pari risqué, une épreuve de patience, et souvent un combat sans fin ?
Mais la véritable ironie, c’est que ces mêmes banques parlent de modernisation et de digitalisation comme d’une panacée — comme si le simple fait de mettre un écran en face d’un client suffisait à masquer l’incompétence structurelle qui gangrène le service.
Quand les outils censés faciliter la vie des clients se transforment en obstacles supplémentaires, il ne s’agit plus de modernisation, mais d'une fausse innovation. Un gadget de plus pour se donner une image de progrès, tout en perpétuant la même arriération bureaucratique.
On nous vend des distributeurs comme des solutions, alors qu'ils ne sont que des relais de cette inefficacité généralisée, une inefficacité que l’on déguise sous un vernis numérique.
Et c’est ça, le fond du problème : ce n’est pas tant que les distributeurs existent ou non, ni que la technologie soit disponible ou non.
C’est que, sous le prétexte de modernisation, les banques refusent de rendre les systèmes fiables, refusent d'admettre leur propre responsabilité dans le dysfonctionnement de l’infrastructure.
Elles préfèrent blâmer les clients, leur reprochant d’être « réticents à la modernité », alors qu'elles n'ont jamais réellement fait l'effort de rendre cette modernité fonctionnelle, ou même accessible. Parce qu'au bout du compte, il est bien plus facile de poser un écran que d’assumer le besoin d'une véritable refonte de l’expérience client.
Peut-être faudrait-il que les dirigeants de ces banques fassent la queue sous le soleil, ou mieux encore, restent coincés à l'intérieur sans passe-droit ni privilège, pour comprendre enfin que, service « standard » ou non, ce n'est pas une situation acceptable. Peut-être alors verraient-ils l'urgence de renouveler la relation bancaire, d'arrêter de nous faire croire que patienter des heures pour accéder à notre propre argent est une norme à tolérer.
Mais soyons honnêtes : ça n’arrivera jamais.
Ce que la banque a vraiment réussi à moderniser, c’est l’art de nous vendre la médiocrité comme une normalité.
Peut-être est-il temps de cesser de jouer ce rôle que l'on nous a attribué, de rappeler qu'une relation bancaire ne se construit pas sur la patience infinie des uns et le mépris des autres.
Parce qu'au final, ce que la banque oublie, c'est que la confiance est un contrat fragile : elle ne se restaure pas avec des excuses hypocrites.
Elle se reconquiert par le respect, et tant que cela ne sera pas compris, ce ne sera pas la modernité qu’ils nous vendent, mais juste une belle illusion qui cache l’arrogance de ceux qui n’ont jamais fait la queue.
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