"Zéro clinique illégale en 2025" : quand l’État joue au docteur avec un bistouri politique
- La Plume Acerbe
- 2 mars
- 5 min de lecture
Mars 2025.
L’État ivoirien se félicite bruyamment de l’avancée de son opération "Zéro clinique illégale". Des chiffres mirobolants circulent dans les médias officiels : des centaines de cliniques clandestines auraient été fermées, des milliers de vies "sauvées".
Mais derrière les slogans et les bulletins de victoire, se cache une vérité plus sombre : cette campagne n’est rien de moins qu’un pansement jeté sur une plaie béante.
Une tentative désespérée de masquer l’échec cuisant d’un système de santé qui, lui, continue de suffoquer dans l’indifférence.
On nous dit que les cliniques illégales sont un danger pour les patients.
C’est vrai. Beaucoup opèrent sans équipement adéquat, avec du personnel non qualifié, dans des conditions d’hygiène discutables.
Mais est-ce vraiment là le cœur du problème ?
Fermer ces cliniques, c’est comme casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre. Le vrai diagnostic, c’est l’abandon total des structures publiques par l’État.
Car si 81 % des cliniques privées opèrent hors-la-loi, ce n’est pas par plaisir ou par cynisme. C’est par nécessité. La demande explose, l’offre publique est inexistante, et les normes imposées par l’État rendent l’ouverture d’une clinique légale aussi accessible qu’un billet pour la lune. Entre la bureaucratie kafkaïenne, les coûts exorbitants et les "motivateurs informels" nécessaires pour obtenir une autorisation, seuls les groupes bien connectés survivent. Les autres se débrouillent comme ils peuvent.
Et souvent, ce "peu" est tout ce que les patients ont.
Pour comprendre pourquoi ces cliniques illégales pullulent, il faut se pencher sur l’état désastreux des infrastructures publiques.
Les hôpitaux publics ivoiriens sont l’incarnation même du mot "délabrement".
Les lits manquent, les médicaments sont en rupture de stock, et les patients attendent parfois des jours pour une simple consultation.
Un rapport de l’OMS de 2023 révèle que seulement 40 % des centres de santé primaires ivoiriens disposent d’un personnel médical qualifié sur place.
Dans les zones rurales, la situation est encore pire. Ces régions, où vivent près de 45 % des Ivoiriens, sont souvent totalement dépourvues d’infrastructures sanitaires. Et même quand un dispensaire existe, il n’a ni matériel, ni personnel.
Résultat : les populations locales se tournent vers les cliniques illégales, non pas par choix, mais par désespoir. Un accouchement à domicile avec une matrone non formée vaut mieux qu’un hôpital à 50 kilomètres sans médecin.
Un coup de massue pour les plus vulnérables
Depuis le début de l’opération en 2023, plus de 1 000 cliniques illégales ont été fermées ou mises en demeure.
Mais une fois ces structures fermées, que reste-t-il ?
Rien.
Pas de centre de santé public pour prendre la relève.
Pas de dispensaire temporaire.
Pas même une équipe médicale mobile.
L’État frappe vite, mais ne pense pas aux conséquences.
Qui souffre de ces fermetures ?
Pas les élites urbaines, qui se rendent dans des cliniques privées ultramodernes ou prennent l’avion pour l’Europe au moindre bobo.
Pas non plus les décideurs politiques, qui ont des passe-droits pour accéder aux meilleures structures du pays.
Non, les vrais perdants, ce sont les classes populaires, les habitants des campagnes, et les travailleurs précaires des villes. Ceux qui, après avoir perdu leur clinique illégale, n’ont plus rien. Ni traitement. Ni espoir.
La santé : privilège ou droit ?
Cette campagne révèle une vérité brutale : en Côte d’Ivoire, la santé est un luxe réservé à une élite privilégiée. Ceux qui en ont les moyens vont dans des cliniques privées aux tarifs prohibitifs.
Une simple consultation coûte 15 000 FCFA, soit près du quart du salaire minimum. Les accouchements, eux, atteignent 400 000 FCFA, une somme astronomique pour la majorité des Ivoiriens. Pour les autres, il reste les longues files d’attente des hôpitaux publics, quand ils existent, ou les structures clandestines, quand elles ne sont pas encore fermées.
Et que dire de la Couverture Maladie Universelle (CMU), censée garantir des soins abordables à tous ?
L’idée, louable sur le papier, est un fiasco dans la pratique.
Peu de structures acceptent cette couverture, et celles qui le font offrent un service minimal, souvent de qualité douteuse. La CMU, au lieu de démocratiser l’accès aux soins, est devenue un nouvel exemple de promesse brisée.
"Zéro clinique illégale" est présentée comme une grande avancée. En réalité, c’est un écran de fumée.
L’objectif n’est pas de soigner la santé des Ivoiriens, mais de redorer le blason d’un gouvernement en quête de légitimité.
Les fermetures de cliniques sont mises en scène comme des victoires, avec des chiffres spectaculaires et des reportages télévisés. Mais derrière cette mise en scène, le vide reste béant.
La vraie réforme, celle qui changerait les choses, aurait nécessité :
Un investissement massif dans la santé publique, avec la construction de nouveaux hôpitaux et la réhabilitation des anciens.
Une augmentation du budget de la santé, aujourd’hui plafonné à 5,6 % du budget national, loin des 15 % recommandés par l’Union africaine.
Une décentralisation des services, pour que chaque Ivoirien, qu’il vive à Abidjan ou dans un village reculé, ait accès à des soins de qualité.
Mais ces réformes sont coûteuses, lentes, et surtout, peu vendeuses. Alors on préfère l’illusion d’une action rapide et décisive.
Si rien ne change, la santé en Côte d’Ivoire continuera de refléter les fractures d’une société inégalitaire. Les riches vivront longtemps et en bonne santé. Les pauvres mourront jeunes, souvent pour des maladies évitables. Et l’État, lui, continuera de multiplier les slogans, comme s’il suffisait de mots pour guérir les maux.
En 2025, la Côte d’Ivoire est peut-être en train de "fermer les cliniques illégales".
Mais qui refermera les plaies laissées ouvertes par des décennies de négligence ?
La santé des citoyens n’a jamais été aussi précaire, et pourtant, l’État persiste à soigner son image plutôt que ses citoyens.
La campagne "Zéro clinique illégale" est l’incarnation même d’un État qui soigne les apparences au lieu de soigner ses citoyens.
En fermant ces structures clandestines sans garantir d’alternatives viables, le gouvernement transforme chaque coupure de ruban en une condamnation silencieuse pour les plus vulnérables. Ce n’est pas une réforme, c’est une supercherie.
En 2025, en Côte d’Ivoire, la santé n’est plus un droit, mais une loterie.
Ceux qui ont de l’argent trouvent des soins, ceux qui n’en ont pas trouvent des excuses. Pendant ce temps, l’État joue les médecins tout-puissants, mais il opère à l’aveugle, laissant des cicatrices profondes sur une société déjà fracturée.
Si rien ne change, ce ne sont pas seulement des cliniques qui fermeront leurs portes. Ce sera l’espoir d’une santé équitable pour tous qui disparaîtra, étouffé par le silence coupable de ceux qui prétendent gouverner pour le bien commun.
La Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’une campagne de façade.
Elle a besoin d’un électrochoc.
Et cet électrochoc ne viendra pas de l’État, mais des citoyens eux-mêmes, lorsqu’ils se lèveront pour réclamer ce qu’on leur refuse : le droit de vivre, tout simplement.
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